31/05/2009
Larchant, 1939
Un orage gronde au loin. On passe à autre chose. Mais l'orage ne passe pas. Les coups de tonnerre se succèdent avec la régularité d'une bataille rangée. On ne voit rien. On entend juste ce sourd battement prémonitoire d'angoisses enfouies.
L'orage lointain me ramène à un tableau de Balthus. On y voit l'église de Larchant dans un paysage étrangement calme et sous un ciel bleu qui pourtant préfigure la guerre imminente. Le peintre sera mobilisé puis blessé en Alsace.
Le clocher de l'église ressemble à une guillotine. Dans le magnifique roman du peintre Jacques Biolley ce tableau qui se situe au coeur de l'intrigue me renvoie à une lointaine blessure. Calme et mystérieux tableau éclairé par les lignes de Jean Starobinski: "Larchant sera toujours, pour moi, le tableau du recueillement avant l'épreuve de la guerre... Quelque chose de fatidique marque le lieu et le moment."
Est-ce la lecture des premières lignes des mémoires de Claude Lanzmann, le Lièvre de Patagonie, qui vient raviver un souvenir?
"La guillotine - plus généralement la peine capitale et les différents modes d'administration de la mort - aura été la grande affaire de ma vie. Cela a commencé très tôt." Chapitre II: "De même que j'ai pris rang dans l'interminable cortège des guillotinés, des pendus, des fusillés, des garrotés, des torturés de toute la terre, de même, je suis cet otage au regard vide, cet homme sous le couteau. On aura compris que j'aime la vie."
J'approuve et je souligne en continuant la lecture tout en venant, comme l'auteur, à ne plus croire à ce qu'il est en train d'énoncer.
Pas difficile de se souvenir du nom de l'inventeur de la machine à couper les têtes. Encore fallait-il la construire. Biolley (p.268) nous rappelle que le prototype fut l'oeuvre d'un facteur de piano allemand, Tobias Schmidt.
Et c'est ici que je disjoncte grave. Le piano fut pour moi (un Schmidt-Flohr?) un vrai instrument de torture. J'ai eu toutes les peines à me débarasser de cet instrument maudit, bien que son chêne-buis eut été du plus bel effet sur le tableau de bord d'une Bugatti Veyron destinée à un potentat africain. Les leçons de piano données par la fille d'une véritable baronne étaient un cauchemar partagé. Elles se donnaient au-dessus du Chat noir. Par un concours de circonstance, mon ami Nanard, tout aussi peu motivé par le clavier, nous vengea en tirant les cheveux, ou le peu qu'il lui en restait, à son ancien professeur de musique et éminent musicologue Henri Jaton. C'était un soir... au Café du Chat noir!
Fin de la parenthèse qui me permet de faire le deuil d'un épisode pleu glorieux et franchement inepte de ma vie, d'un rendez-vous manqué avec un bel instrument.
Le tableau de Balthus ne me lâche pas. La tour de l'église de Larchant n'est pas une invention, mais bien une relique d'un conflit puisque son aspect mortifère remonte à la guerre des Religions!

00:25 Publié dans Général | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : balthus, claude lanzmann, biolley | |
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